Odette Guimond, praticienne Feldenkrais : qui va là ?
La célèbre réplique introductive à cet Hamlet de Shakespeare, considéré depuis des siècles comme un chef d’œuvre universel, a fait couler beaucoup d’encre. Combien de commentaires et de lectures n’a-t-elle soulevés, en dehors même du champ des études théâtrales et littéraires! La psychanalyse s’est nourrie abondamment des ambiguïtés constitutives de cette œuvre, comme des chefs d’œuvre du théâtre grec. Comment ne pas être fasciné en effet à la fois par la structure de l’œuvre et par la fonction centrale accordée au théâtre, notamment par la mise en abîme de la représentation de la Souricière devant le Roi, cette stratégie ultime de Hamlet pour observer, sur le visage du Spectateur soupçonné de meurtre, la révélation de sa véritable identité et pour se retrouver ainsi confronté lui-même à ses propres choix? La traduction française que l’on donne de la première réplique de Bernardo (2, Antonio R. Damasio (2001), d’un autre point de vue, s’appuie sur différentes œuvres, entre autres sur l’œuvre de Shakespeare, pour faire connaître au grand public les avancées dans les domaines de la neurologie et de la psychiatrie 3. Les ouvrages de vulgarisation de Gerald M. Edelman, comme Biologie de la conscience ou Comment la matière devient conscience, ceux de Antonio R. Damasio, L’erreur de Descartes ou Le sentiment même de soi, ceux d’Israël Rosenfield, comme Une anatomie de la conscience, recoupent les réflexions de Francisco J. Varela, biologiste et spécialiste des sciences cognitives 4 et rejoignent les recherches que mènent depuis plus d’une centaine d’années les fondateurs et les praticiens de plusieurs méthodes d’éducation somatique 5, particulièrement de la méthode Feldenkrais®. Celle-ci a depuis longtemps attiré l’attention de Varela, comme de plusieurs autres scientifiques, et cela du vivant même de Moshe Feldenkrais, docteur en sciences physiques et judoka 6.
Le corps, métaphore de l’esprit ? L’esprit, métaphore du corps?
Un article comme celui de Carl Ginsburg, portant sur « The Somatic Self Revisited » 7, donne des pistes importantes non seulement à propos de l’apport de l’éducation somatique dans le domaine de l’étude de la conscience, mais également sur la façon dont elle envisage la question de l’identité. C’est qu’en effet l’éducation somatique s’intéresse à l’apprentissage de la prise de conscience du corps en mouvement dans l’espace et en relation avec son environnement, incluant de ce fait le contexte d’apprentissage, la culture de l’individu. Dès lors la question n’est plus tant de savoir qui va là, mais de s’intéresser au processus par lequel un être vivant sait, reconnaît qui il est et quels sont les choix qui s’offrent à lui pour agir le plus efficacement et avec le minimum d’effort dans une situation donnée, c’est-à-dire avec un maximum d’harmonie et de qualité, de sensibilité et de conscience, voire de créativité.
Cette question, associée aux processus cognitifs, a longtemps été envisagée comme si «le corps» ne participait pas au processus de la cognition, un processus dit «mental», comme si la tête ne faisait pas partie du corps, ou que le corps était dénué de tête. Il aura fallu une liberté d’esprit assez marquée, ou peut-être plus simplement une qualité d’observation et de réflexion scientifiques dénuées de préjugés philosophiques ou religieux, pour que la recherche médicale en arrive à proposer récemment que le cerveau soit considéré comme un organe faisant partie du corps, et que ce à quoi on réfère depuis des siècles comme étant l’esprit émerge du fonctionnement du système nerveux 8 (Edelman et Tononi, 2000). Telle est également l’hypothèse de base de l’éducation somatique et particulièrement de Moshe Feldenkrais depuis les années ’40, qui permet d’échapper au dualisme d’une pensée réductionniste qui s’est imposé depuis Descartes.
Si le rêve scientifique qui nourrit les recherches sur la conscience aboutit par exemple chez Edelman à la production d’artefacts sophistiqués (des robots «conscients», c’est-à-dire capables d’apprendre, et non pas programmés de l’extérieur) dont la fonction serait de valider objectivement et quantitativement le fonctionnement d’un organe vivant comme le cerveau, celui des éducateurs somatiques émane avant toute chose de leur expérience subjective et repose davantage sur des données qualitatives. Souvent confrontés eux-mêmes à un problème de santé ou plus généralement à une problématique de survie, ils font, tout comme les artistes, appel à leur créativité pour apprendre à sentir davantage de l’intérieur le fonctionnement de leur organisme et de leur environnement et pour guider leurs élèves dans un processus d’apprentissage similaire. Tout comme les artistes, ils ont créé et appris à maîtriser, dans un parcours exigeant de longues années d’apprentissage, des techniques extrêmement précises et nourries de connaissances objectives, mais qui reposent sur une définition de la conscience du point de vue de l’expérience sensible et vécue. Bref du point de vue des qualia, question sur laquelle achoppe la recherche scientifique actuelle.
Les processus cognitifs, pour l’éducation somatique, ne font qu’un avec le processus biologique d’autopoièse tel que défini par Humberto Maturana et Francisco J. Varela dans Autopoiesis and Cognition. The Realization of the Living dans les années 7o , selon lequel un être vivant recrée constamment sa propre identité fonctionnelle, à travers le mouvement incessant de ses composantes et de sa structure. Le cerveau et le reste du corps en effet, ne font qu’un, le cerveau se nourrissant et s’affectant de mouvements, de sensations, d’expériences de tout le système nerveux, squelettique, musculaire, digestif… Maturana et Varela ont été les premiers biologistes à poser clairement l’hypothèse que la connaissance était un phénomène biologique et à lancer le débat sur cette question dans le milieu scientifique.
Comment le sol vous reconnaît-il?
S’il existe un miroir qui ne puisse pas mentir, et qui soit révélateur non pas des apparences mais de l’identité même, c’est bien la relation à la gravité. Moshe Feldenkrais ne disait-il pas que la plus grande découverte de Freud était l’utilisation du divan? En éducation somatique, la qualité du contact avec le sol et la capacité de modifier subtilement cette relation à toutes les étapes du mouvement, c’est-à-dire de la vie même, à chaque seconde de la respiration, sont un révélateur de la personne et, pour Moshe Feldenkrais, celui de la qualité du fonctionnement du système nerveux. Les empreintes au sol, si révélatrices pour des policiers ou des scientifiques qui s’intéressent au passé des espèces vivantes, sont au coeur de l’éducation somatique. Mais plutôt que d’y découvrir uniquement les traces d’un passé éteint, caché ou dénié, on décèle dans la relation à la gravité, en éducation somatique, la manifestation du moment présent, c’est-à-dire à la fois les traces d’une mémoire et la façon dont une personne arrive ou non à transformer ses intentions en actions, à s’organiser dans le temps et l’espace. De plus, le rapport ludique avec le sol, le recours au toucher comme mode premier de communication permettent de remettre en mouvement les mécanismes profonds d’apprentissage, de survie et de création. Moshe Feldenkrais fait constamment appel à trois grands thèmes: l’unité indissociable du corps et de l’esprit, l’importance primordiale de la relation à la gravité et le pouvoir squelettique qui s’y rattache, l’image du corps (autrement appelé le schéma corporel) comme référence à soi qui se clarifie et donc qui se modifie au cours des leçons d’éducation somatique.
Il a écrit de nombreux Livres dont La conscience du corps (1971) ou L’évidence en question (1997), portent des titres évocateurs. Déjà il publiait, en 1948, L’être et la maturité du comportement (1993), une étude sur l’anxiété, l’apprentissage, la sexualité et le rapport à la gravité. Une synthèse surprenante pour l’époque, et cela même pour ceux qui avaient une vision globale de l’être humain. Il écrira, l’année suivante, en 1949, The Potent Self (en français: La puissance du moi, 1990) qui propose l’apprentissage de la spontanéité (opposée à la compulsion) et qui ne sera publié qu’un an après la mort de son auteur.
Il existe deux modalités développées par Moshe Feldenkrais pour guider l’apprentissage. Les leçons de groupe de Prise de Conscience par le Mouvement’® sont composées de séquences de mouvement élaborées pour développer une meilleure organisation neuro-motrice. Reliés à des fonctions spécifiques, ces mouvements sont présentés de manière inhabituelle, non linéaire, afin de stimuler la créativité, de changer ses habitudes et de trouver des alternatives qui soient confortables, basées sur ses propres repères sensoriels. Dans les leçons individuelles d’Intégration Fonctionnelle’®, l’élève peut également, en plus des consignes verbales, être guidé par le toucher du professeur qui explore avec lui de nouvelles options en mouvement. C’est un toucher qui écoute et qui accompagne. Un toucher suggérant des schèmes moteurs oubliés ou qui n’existent pas encore dans le répertoire de mouvements de cette personne. Un contact qui aide à préciser des zones floues dans la perception que la personne a d’elle-même. Ce que fait le professeur, c’est entretenir un dialogue avec l’élève par le mouvement. En résumé la Méthode Feldenkrais® repose sur une compréhension approfondie (et d’abord expérimentale) de plusieurs principes fondamentaux: l’organisation du corps en mouvement dans le champ de la gravité; le fonctionnement auto-régulé du système nerveux; l’intégrité indissociable de la personne aux plans sensoriel, émotif et intellectuel; la primauté de l’image du corps dans le contrôle du comportement. Les conditions créées par notre méthode misent sur nos capacités d’apprentissage. C’est une approche stratégique qui s’intéresse au «comment» plutôt qu’au « pourquoi » des choses. Elle utilise la réduction de l’effort et de la vitesse; l’augmentation de la sensibilité fine; la recherche du confort et de l’aisance; une absence de modèle à imiter; la recherche des indices personnels de qualité; une progression graduée dans la complexité; une vision globale de tout le corps et de toute la personne en mouvement. Les principales stratégies de la méthode s’articulent autour d’une approche sécurisante pour l’élève, la plus indirecte possible par rapport au lieu de la douleur, du trauma ou du «problème», dans la perspective que l’on s’adresse à l’ensemble de la personne, à l’intelligence de son système nerveux, à ce qui est en santé en elle, et non à ses perceptions biaisées.
Comment savez-vous qui vous êtes et où vous allez?
Le point de vue de l’éducation somatique est à la fois beaucoup plus ancien et beaucoup plus neuf qu’on ne l’imagine. Beaucoup plus important et porteur de solutions organiques que l’on ne croit, face à des problématiques qui sont trop profondes et partagées par trop d’humains pour qu’elles soient seulement individuelles ou culturelles, ou de nature pathologique. On s’intéresse avec raison aux composantes chimiques du fonctionnement humain et à ce que l’étude des lésions du cerveau peut nous apprendre sur le fonctionnement et la nature même du phénomène vivant. Mais ma pratique et mon enseignement dans le domaine du théâtre et de l’éducation somatique continuent à m’apprendre que, fondamentalement, les êtres humains ne peuvent assumer leur liberté et devenir pleinement créateurs sans cette reconnaissance au jour le jour de leurs habitudes de mouvement dans le champ de la gravité, de leurs préférences de comportement, de leur propre manière de faire et de percevoir. Et cela non pas pour fuir leur être propre et se conformer à un modèle idéal, inaccessible tout autant qu’irréel, mais pour faire la paix avec eux mêmes et assumer ce qu’ils sont et ce qu’ils font. La prise de conscience de ses schèmes neuromoteurs est fondamentale et permet non seulement d’améliorer ce que l’on aime faire, mais aussi d’y apporter des variations créatives, que l’on pourrait parfois qualifier de changements profonds dans son comportement.
Au théâtre, on utilise des mots, beaucoup de mots. On les apprend même «par cœur». On les «joue». On tente de se souvenir qu’un être humain les a écrits et qu’il sont là pour nous renvoyer à nous-mêmes et communiquer avec d’autres humains. Lisez une phrase qui vous touche, même si vous ne savez pas pourquoi, ou si vous croyez savoir pourquoi! Nommez trois mots caractéristiques, trois qualificatifs ou images auxquels cette phrase vous renvoie. Répétez cette phrase à haute voix et écoutez-la résonner en vous en laissant se préciser d’où viennent concrètement les images que vous apprenez à différencier l’une de l’autre. Qu’est-ce que vous faites pour préciser ces images à l’intérieur de vous? Comment savez-vous ce que vous sentez? Ces images se traduiront vite par un schème de mouvement dont vous seul connaîtrez les repères, qui vous permettent de les répéter jusqu’à ce qu’ils deviennent habituels. Jouez à faire une gamme entre les trois schèmes de mouvement qui vont s’intégrer dans une forme que vous n’auriez pu prévoir. Cela est simple et très amusant. Vous voilà mis en contact avec un nouveau personnage dont vous ne pouviez peut-être même pas savoir qu’il constituait l’un des aspects de l’humanité en vous … et de votre identité.
Identifiez un verbe, deux, trois verbes d’action, qui sont reliés à la personne à qui vous désirez dire cette phrase, avec laquelle vous entrez par elle en relation. Faites des gammes. Écoutez de l’intérieur comment vous réagissez à la construction du mouvement de l’autre qui répond à votre intention, à sa relation envers vous, à la réponse qui surgit et qui se modifie au rythme des modifications de vos mouvements propres. Vous venez de créer un dialogue, une relation fondamentale entre deux êtres humains. Qu’aviez-vous donc à dire de si important? Était-ce dans les mots? Vous venez de clarifier cette relation et peut-être, de l’enrichir de manière insoupçonnée. Car comment savez-vous ce que vous savez si bien à propos de vous-même et de vos intentions? Vous n’avez qu’à prêter un moment attention à ce que vous sentez et à ce que vous faites en mouvement, et à vous laisser guider par qui, de l’intérieur de vous-même, sait.
Mon propre cheminement en éducation somatique, parallèlement à ce qui m’est cher dans l’expérience artistique, m’a davantage appris, à moi comme à bien d’autres, à brûler des masques qu’à disparaître sous celui qui est imposé. C’est à cette liberté dans la construction de personnages différenciés, à cette mobilité dans l’expérience de son identité, que renvoie la prise de conscience de repères sensoriels dans la construction d’un comportement, associés à des «marqueurs somatiques», pour reprendre l’expression proposée récemment par Antonio R. Damasio 10, dans un contexte d’apprentissage. C’est ce que font les acteurs depuis les premières intuitions de Stanislavski. Mais avec les outils qu’apporte l’éducation somatique, on peut aller beaucoup plus en profondeur dans ce type de recherche, avec beaucoup plus de précision et de plaisir. Au théâtre, cela est extrêmement précieux. Dans la vie quotidienne, c’est inestimable. Odette Guimond
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